Ça ne fera pas couler la salive lors d’un débat des chefs, mais le Canada traine un problème de livraison.
Notre société d’État, Postes Canada, et sa petite sœur Purolator agissent de manière indépendante du gouvernement et visent un objectif de rentabilité.
Depuis les cinq dernières années, force est d’en constater l’échec. La seule croissance se trouve au niveau des pertes1. Qui plus est, la capacité d’augmenter ses revenus est limitée. Le futur et le présent de son modèle d’affaires sont d’assurer la livraison de colis issus du commerce en ligne, mais commerçants et consommateurs trouvent déjà les délais trop longs et les prix trop élevés.
Notre territoire est grand et la densité de population est faible, j’en conviens. Pourtant, de petits acteurs font mieux. Il y a quelques années, j’exploitais une boutique en ligne où il était plus avantageux d’entreposer aux États-Unis pour livrer au Canada, parce que c’était moins cher que des livraisons intrapays. Comme dirait Kevin Parent, il y a un contexte. Mais ça reste anormal.
Dans le contexte actuel d’une guerre commerciale et d’attaques en signatures au Sharpie, nous pouvons transformer ce problème en opportunité. Quitte à avoir une société d’État qui fait des pertes, pourquoi ne pas utiliser celles-ci pour créer un avantage compétitif à notre commerce en ligne canadien?
Je propose la création de Postes Canada Prime™, qui transforme notre secteur e-commerce en vache à lait.
Prime, sans Amazon
Au risque de faire pleurer quelques dragons, nous n’avons pas besoin d’un Amazon canadien. Les consommateurs choisissent Amazon en tout premier lieu pour la livraison rapide et gratuite2. Voilà le vif d’or qu’on doit attraper.
Rendons ce vif d’or disponible à nos détaillants canadiens. Pour imager; vous vous abonnez à un abonnement annuel de 99$ à Postes Canada, vous obtenez une livraison prioritaire et gratuite à partir des sites de tous nos détaillants canadiens accrédités.
Nos fleurons gardent leur marge et leurs données, tout en augmentant leur taux de conversion. Leur offrir ce morceau du modèle d’Amazon est beaucoup plus alléchant qu’un panier bleu et autres prochaines moutures de la même idée. On doit aider nos maillons forts et cesser de se concentrer sur nos maillons faibles. Le pays est en meilleure posture avec d’autres SSENSE qu’avec une savonnerie artisanale de plus qui vend en ligne.
Technologiquement, rien de cette vision n’est insurmontable. Il suffirait à Postes Canada d’avoir une interface client pour créer son compte, qui pourrait par la suite être lié lors de la transaction sur un autre site web. Pensez Air Miles ou Aéroplan.
Financièrement, c’est un fiasco?
Le gérant n’est pas tombé sur la tête, mais presque.
Cette idée n’est pas un plan pour rendre Postes Canada rentable. C’est un échange de valeur entre le facteur et le commerçant.
L’annexe détaille des estimations plus que sommaires, mais prenons le scénario qui coûterait le plus cher, c’est-à-dire que tous les colis issus du commerce en ligne soient désormais couverts par Postes Canada Prime™. On atteindrait des pertes supplémentaires colossales de 3 milliards de dollars3.
Toutefois, jamais le taux de pénétration du programme ne serait de 100% dans la population, et il n’est probablement pas réaliste non plus de commencer en l’offrant à la grandeur du pays. Si l’offre se limite au triangle Montréal-Ottawa-Toronto, avec ses 12 millions d’habitants, dont 10% deviennent membres, on atteindrait une perte annuelle supplémentaire de 228 millions de dollars4.
Ces scénarios hypothétiques font dans l’exagération, d’abord, puisque ce ne sont pas tous les colis qui sont issus d’un site canadien et ensuite, puisqu’une panoplie de détails pourraient minimiser les pertes. Les gains, eux, seraient captés ailleurs, par notre rapatriement de dépenses discrétionnaires vers des profits (bien) imposés au Canada.
Société d’État en majuscule
Utiliser une société d’État pour en tirer un avantage compétitif national est plus intelligent que d’en forcer sa rentabilité, au détriment de nos entreprises. C’est la tension qui s’annonce avec le statu quo.
Cet investissement devrait pouvoir en substituer d’autres. Des subventions qui favorisent la transition numérique, notamment le PCAN, représentent un investissement de 1,4 milliard depuis 20225. J’estime que Postes Canada Prime™ pourrait avoir un impact plus important, pour un investissement moindre.
J’espère que mon arrière-grand-père, fier opérateur du bureau de poste de Saint-Stanislas, ne se retourne pas dans sa tombe en me lisant. Si oui, je lui enverrai le rapport annuel 2024 de Postes Canada pour qu’il se retourne encore une fois.
Merci à Maude Hallé pour l’illustration.
Annexes
Postes Canada. Rapport annuel 2023. Postes Canada, 2024, www.canadapost-postescanada.ca/scp/fr/notre-entreprise/rapports-financiers-et-de-developpement-durable/rapport-annuel-2023.page.
Statista Research Department. Raisons pour lesquelles les consommateurs américains utilisent Amazon en ligne en 2020. Statista, mai 2020, www.statista.com/statistics/670499/us-amazon-usage-reason/.
Coût moyen d’un colis Xpresspost: 25$, Nombre annuel moyen de colis par utilisateur: 10, Colis intérieurs livrés en 2023: 243 000 000.
Revenus totaux sans Postes Canada Prime: 243 000 000 * 25$ = 6 075 000 000$
Revenus totaux avec Postes Canada Prime: (243 000 000/10) * 99$ = 2 405 700 000$
Coût du programme: 6 075 000 000$ - 2 405 700 000$ = 3 669 300 000$
Coût moyen d’un colis Xpresspost dans le triangle: 20$, Nombre annuel moyen de colis par utilisateur: 10, Population du triangle Mtl-To-Ott: 12 000 000. Participation Postes Canada Prime: 10%
Nombre de colis livrés: (12 000 000*10%) * 10 colis = 12 000 000 colis
Revenus totaux sans Postes Canada Prime: 12 000 000 * 20$ = 240 000 000$
Revenus totaux avec Postes Canada Prime: (12 000 000*10%) * 99$ = 11 880 000$
Coût du programme: 240 000 000$ - 11 880 000$ = 228 120 000$
Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Document d’information – Le Programme canadien d’adoption du numérique. 3 mars 2022I