Commençons par une phrase qui ne vous apprend absolument rien: les revenus publicitaires des médias locaux sont en déclin depuis la montée du GAFAM.
J’incarne cette tendance sous forme humaine.
J’achète de la publicité au GAFAM depuis que je suis assez vieux pour entrer au Café Campus.
À l’instar d’un baby-boomer qui ne recycle pas mais qui s’achète une Tesla, je prends la plume pour sentir que je fais maintenant partie de la solution et non du problème.
Cet article explore les modèles d’affaires d’aujourd’hui et de demain pour nos médias locaux.
Chapitre un: la publicité
Le modèle de monétisation le plus OG qui demeure très utilisé.
La promesse de la publicité en ligne, c’est de cibler la bonne audience dans un endroit où cette audience investit son attention.
Les médias locaux ont deux faiblesses importantes dans leur réponse à cette promesse.
La première, c’est leur capacité de ciblage diminuée face à Google et Facebook.
Côté Google, c’est difficile de se battre contre un moteur de recherche. Au Québec, c’est 44% de l’investissement publicitaire numérique qui est alloué à l’achat de mots clés. Même si Guillaume Lemay-Thivierge doit l’attendre de pied ferme, nous n’avons pas encore notre moteur de recherche québécois. C’est donc une moitié de l’enveloppe publicitaire numérique qui est hors-jeu d’emblée pour nos médias locaux.
Pour ce qui a trait à la bannière et la vidéo, la pente reste abrupte. Le pixel Facebook, alias le cookie de Facebook qu’on installe sur son site pour recibler le trafic, est installé sur plus de 70% des sites web. Quand je demande à Facebook de me trouver les jeunes hommes de la Rive-Sud ayant un intérêt pour le Spikeball, non seulement Zuckerberg a accès à tout ce qu’on fait sur ses applications, mais aussi sur 70% des sites web que l’on visite. Difficile pour un média individuel d’obtenir le millième de ces points de données et d’offrir un ciblage autant précis.
Google et Facebook sont meilleurs pour monétiser la même audience qu’un média local le serait. Si j’avais un journal qui reposait sur la publicité, la première chose que je ferais serait de supprimer ces pixels de mon site, question de rendre mon audience plus exclusive.
La deuxième lacune est plus subtile. Les médias locaux sont très bons pour capter notre attention et les paires d’yeux qu’ils attirent sont de qualité.
Toutefois, la reddition de compte envers ses clients publicitaires est déficiente.
Outre des métriques de notoriété, l’attribution des conversions est inexistante.
Si la montée du marketing performance est presque parfaitement corrélée au déclin des revenus publicitaires des médias, c’est parce que des plateformes du GAFAM ont créé des outils de suivi d’attribution pour nous, alors que nous sommes chargés du fardeau de créer une méthodologie ou d’utiliser une technologie tierce pour estimer l’attribution quand on annonce sur des médias locaux.
Ça se fait, mais ça ne s’inscrit pas avec une caractéristique profonde de l’ADN de l’industrie du marketing; la paresse.
Depuis 2020, il y a une réelle volonté de la part de l’industrie publicitaire de prioriser nos médias locaux dans les planifications budgétaires. J’endosse. Mais je me pose la question: qui le fait réellement pour le faire et non pour le dire?
Je ne suis pas optimiste quant à la croissance de ce canal de revenu dans le futur.
Chapitre deux: l’abonnement
Si on ne vend plus des paires d’yeux, comment monétiser nos lecteurs?
En leur proposant un abonnement en échange de contenu additionnel.
«gros, moi je ne paierais jamais pour des petits articles»
La phrase que nos amateurs de Spikeball de la Rive-Sud répondent. Pourtant, il s’agit d’un modèle qui offre une plus grande indépendance, tant éditoriale que financière.
La perception de gratuité est le frein le plus important de cette source de revenus. Ça fait tellement longtemps que tout le monde survit sur un modèle publicitaire qu’on a déconnecté valeur monétaire et contenu. Heureusement, la volonté de payer des petits montants en échange de contenu est en croissance dans la population web. Remercions OnlyFans pour le (les?) coup de main.
La question financière qui reste:
Est-ce que la perte d’impressions publicitaires amenée par un mur de péage (paywall) est compensée par le gain en abonnements?
La réponse est: fort probablement.
D’abord, on prend pour acquis que le contenu a une qualité assez forte pour une niche donnée. Si on parle d’un blog avec des articles du genre «Qu’est-ce que Nathan de Ramdam est devenu? Vous serez choqué!», on est peut-être mieux de s’en tenir à nos pratiques de titres clickbait que d’essayer de convertir des lecteurs en abonnés.
Les sources d’informations les plus fiables pour répondre à cette question sont les articles académiques publiés sur le sujet. Le New York Times, qui compte près de 10 ans de paywall derrière la cravate, a été particulièrement généreux avec ses données au fil des ans.
Cela nous permet de tirer les conclusions suivantes:
Le paywall réduit la viralité des pièces de contenu.
C’est intuitif, moins de gens y ont accès.
Le paywall fait plus que compenser la perte de revenu publicitaire.
Une réponse ne peut convenir à tous, mais le NYT a testé son modèle publicitaire et son modèle de paywall en parallèle pendant de longues périodes. depuis 2013, le NYT est plus rentable avec ce modèle plutôt qu’un modèle purement publicitaire.
Le type de paywall influence grandement les abonnements.
La quantité et la diversité des contenus offerts gratuitement sont les variables sur lesquelles expérimenter dans l’optimisation de cette source de revenus. Dans le cas du NYT, les études démontrent qu’une plus petite quantité de contenu, mais non limitative dans sa diversité (au choix du lecteur) était la meilleure formule. Le Devoir incarne bien ce modèle au Québec.
Ce modèle de revenu, même s’il cannibalise celui de notre premier chapitre, m’apparaît comme étant plus aligné avec la direction globale que prend l’internet.
Chapitre trois: la loi
Le gouvernement a tout intérêt à garder un écosystème médiatique en santé. Alerte à la twist, ce n’est pas à coup de subventions et d’aides ponctuelles que le gouvernement pourra assurer la santé financière long terme de nos médias locaux.
Au lieu que de réparer le nid-de-poule, l’idéal serait de repenser la distribution de la valeur entre les différents joueurs qui mangent la tarte publicitaire.
C’est ce que l’Australie a fait au début de l’année 2021, en introduisant le News Media and Digital Platforms Mandatory Bargaining Code, alias la meilleure chose qui est sortie de l’Australie depuis Nick Kyrgios.
Cette nouvelle loi oblige Facebook et Google à rémunérer les médias locaux qui publient des contenus sur leur plateforme respective. L’argumentaire derrière étant que les utilisateurs de Facebook et Google sont exposés aux contenus de médias locaux, mais le sont sans jamais quitter ces jardins clos (pensez à Google News ou Facebook News pour un exemple extrême). Les médias ne peuvent donc pas financièrement profiter de cette capture d’attention.
Chaque entreprise médiatique doit entreprendre ses négociations avec les grandes plateformes, mais le gouvernement australien assure un processus d’arbitrage rapide si une entente n’est pas convenue.
Qui n’aime pas cette réglementation? La main invisible d’Adam Smith.
Combien de temps les géants du web seront-ils collaboratifs? Ceux-ci préfèrent généralement payer des amendes que de se plier à de nouvelles lois. Le temps qu’ils s’y plieront, c’est une aide gouvernementale beaucoup mieux réfléchie qu’une subvention puisqu’elle sous-tire l’argent des monopoles et non des contribuables.
Chapitre quatre: la cryptomonnaie
Le monde des cryptomonnaies a mauvaise image et ce, pour plusieurs bonnes raisons.
Des vendeurs de drogue dans le sous-sol de leur mère, Taco Bell qui vend des NFT de leurs photos de tacos (quand la photo du repas coûte plus cher que le repas), le Bitcoin qui consomme plus d’électricité que la majorité des pays de la planète…
Malgré tout, ce monde pourrait s’avérer le croissant fertile du web de demain.
La grande philosophie derrière la technologie racine des cryptomonnaies, la chaîne de blocs, est la décentralisation. Enlever le pouvoir aux propriétaires de plateformes pour la redonner aux utilisateurs.
Dans un sens, l’ennemi de la chaîne de blocs est le même que celui des médias locaux.
Abstrait? Considérons un exemple.
On entend souvent qu’on vit dans l’économie de l’attention. Toutefois, l’attention n’est pas parfaitement reliée à la valeur monétaire. Il existe encore des détours à prendre pour monétiser cette sainte ressource. Ces détours, c’est l’influenceur qui publie une photo avec une #panasonic 42 pouces en remerciant le @centrehifi. On vient de le rémunérer pour l’attention qu’il génère, mais il a dû prendre un détour pour liquider cette ressource en dollars.
Personne n’aime les détours. Peut-être que bientôt, il n’y en aura plus de détour. Et ce ne sera pas grâce à Google Maps mais bien grâce à un autre navigateur internet, nommé Brave.
Le Basic Attention Token ($BAT), est une cryptomonnaie développée par ce navigateur. Quand quelqu’un consomme un contenu, le navigateur distribue des $BAT au créateur de ce contenu. Plus la personne reste longtemps, plus le montant distribué est important. La valeur de l’attention est chiffrée, RIP les détours et les Panasonic.
Mais comment j’aurais un solde de $BAT à distribuer à La Presse, à la base? À mesure que je me fais afficher des publicités sur ce navigateur, j’accumule ma cagnotte. Mon attention est chiffrée. Ça fait deux fois que je l’écris.
Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres qui viendront. La création de cryptomonnaie propre à un journal, qui agit comme abonnement tout en devenant un investissement et non une dépense pourrait devenir un modèle prisé.
Résumons : ceci est un article par chapitre, une chronologie sur l’évolution du modèle d’affaires des médias. Si je pouvais en tirer une morale, ce serait que, comme dans bien d’autres sphères, les intermédiaires tombent et que la relation directe est celle de demain.
Illustrations par Maude Hallé
Revue de littérature par Pierre Lamoureux
Bibliographie
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Oh, Hyelim & Animesh, Animesh & Pinsonneault, Alain. (2016). Free Versus For-a-Fee: The Impact of a Paywall on the Pattern and Effectiveness of Word-of-Mouth via Social Media. MIS Quarterly. 40. 31-56.
A2C, 2020, Lancement d’un Guide et d’un Indice pour des pratiques responsables en appui aux médias d’ici, https://a2c.quebec/nouvelles/lancement-d-un-guide-et-d-un-indice-pour-des-pratiques-responsables-en-appui-aux-medias-d-ici
Brave Software, 2021, Basic Attention Token (BAT): Blockchain Based Digital Advertising, https://basicattentiontoken.org/static-assets/documents/BasicAttentionTokenWhitePaper-4.pdf